Comprendre l’eau douce : qu’est-ce qu’une eau trop douce ?
En France, la douceur ou la dureté de l’eau dépend de sa minéralisation, particulièrement de sa teneur en calcium et en magnésium. Cette caractéristique, appelée « dureté », s’exprime en degrés français (°f ou °TH) :
- Eau très douce : moins de 8 °f
- Eau douce : entre 8 et 15 °f
- Eau moyennement dure : entre 15 et 25 °f
- Eau dure : au-delà de 25 °f
Une eau « trop douce » se situe donc sous les 8 °f, c’est-à-dire particulièrement pauvre en sels minéraux dissous. Cela peut résulter naturellement de la géologie locale (régions granitiques), d’une filtration poussée (osmose inverse, déminéralisation) ou d’un adoucisseur d’eau mal réglé.
Sur le papier, une eau sans calcaire semble idéale : pas de traces blanches, appareils ménagers préservés… Mais peut-elle vraiment protéger vos installations ? En réalité, une eau trop douce n’est pas sans conséquences pour votre plomberie domestique.
Quels sont les risques d’une eau trop douce sur vos canalisations ?
Lorsque l’eau contient très peu de minéraux, sa composition chimique évolue. Cela modifie son comportement vis-à-vis des matériaux :
L’effet corrosif d’une eau trop douce
Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas seulement l’eau « acide » qui corrode les tuyaux. C’est aussi vrai pour une eau déminéralisée, qui cherche à récupérer des minéraux au contact des métaux.
- Dissolution des métaux : Une eau très douce, peu chargée en calcium/magnésium, va puiser ces éléments où elle les trouve : dans vos canalisations cuivre, acier galvanisé, voire dans les éléments en laiton.
- Libération d’ions métalliques : Résultat, on observe une augmentation de la concentration en cuivre, plomb ou zinc dans l’eau du robinet (source : Anses, Rapport 2019 sur la qualité de l’eau potable).
Conséquences visibles et invisibles :
- Eau colorée ou troubles : Des traces bleu-vert (cuivre) ou rougeâtres (oxydes de fer) dans l’eau, dans la baignoire ou autour des robinets.
- Goûts métalliques ou amers : L’eau a un goût moins agréable, parfois métallique, signe que les canalisations « donnent » leurs composants à l’eau.
- Baisse de la durée de vie des installations : Une corrosion chronique accélère l’usure des tuyaux, des raccords, mais aussi des résistances de chauffe-eau ou des robinets.
Selon l’UFC-Que Choisir, les fuites dues à la corrosion sont responsables de près de 30% des dégâts des eaux en maison individuelle sur des réseaux en cuivre, dans les zones où l’eau est très peu minéralisée.
Zoom sur le cuivre : la vulnérabilité des canalisations modernes
Le cuivre est plébiscité pour la plomberie résidentielle française depuis les années 70. Pourtant, une eau trop douce y cause des problèmes bien particuliers :
- Piqûres et perforations : Le cuivre se dissout lentement, créant avec le temps des micro-percements appelés « piqûres », à l’origine de micro-fuites insidieuses.
- Noircissement des tuyaux : Un dépôt noir, signe de corrosion agressive, peut apparaitre si l’eau ne laisse pas de film protecteur sur les parois internes.
- Dégagement de cuivre dans l’eau : Lorsque la teneur en cuivre dissous dépasse 2 mg/l sur des prélèvements d’eau stagnante, le goût devient désagréable et l’eau n’est plus recommandée pour la préparation des biberons (source : Santé Publique France).
L’anecdote n’est pas rare : certains habitants d’immeubles neufs installés sur réseaux cuivre ont signalé, quelques mois après l’installation d’un adoucisseur trop performant, la présence de taches verdâtres autour des bondes ou sur leur vaisselle… due à la libération du cuivre par la corrosion.
Corrosion et métaux lourds : un effet sur la santé ?
Ce n’est pas qu’une question de plomberie, mais aussi de santé publique.
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Migration du plomb : Dans les habitations anciennes (<1949), des conduites en plomb subsistent parfois. Une eau trop douce accentue la solubilisation du plomb dans l’eau du robinet, voire au-delà des limites réglementaires (10 µg/l, norme européenne en vigueur depuis 2020). Risque aggravé quand l’eau stagne la nuit.
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Libération d’autres métaux : Zinc (des galva), nickel, cadmium… Autant d’éléments qui peuvent migrer, avec un risque accru si l’eau est pauvre en sels minéraux, et donc plus déstabilisante pour la couche protectrice naturelle des canalisations.
Des études de l’Ineris et du CSTB ont démontré que, dans certains réseaux anciens rénovés avec du cuivre ou du galva, une eau trop douce multipliait le taux de corrosion par 3 à 5 par rapport à une eau « moyennement dure » (réf. : CSTB, rapport sur la corrosion des réseaux domestiques, 2017).
Quel impact sur les autres équipements de la maison ?
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Chauffe-eau électriques et ballons : Une légère dureté de l’eau permet la formation d’un film de protection (carbonates de calcium) sur la résistance. En l’absence de ce film, la résistance est en contact direct avec l’eau, ce qui l’expose à la corrosion. La durée de vie peut passer de 12 à moins de 7 ans, selon des enquêtes réalisées par la Fédération Française des Professionnels de la Piscine et du Spa.
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Réseaux acier galvanisé : L’absence de calcium accélère la dégradation de la couche de zinc, entraînant des fuites ou un goût métallique prononcé.
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Appareils électroménagers : Si l’absence de tartre protège lave-linge ou lave-vaisselle, une eau trop douce (déminéralisée) attaque à la longue les parties métalliques internes, notamment si ces appareils ne sont pas prévus pour un usage eau osmosée.
Le juste équilibre : pourquoi l’eau déminéralisée n’est pas une solution pour la maison
L’eau « idéale » pour les réseaux domestiques n’est ni déminéralisée, ni calcaire, mais modérément minéralisée. Elle protège à la fois les installations, la santé et le goût de l’eau.
Action des adoucisseurs : erreurs fréquentes
- Réglages trop bas : Abaisser le TH sous les 8 °f multiplie les risques. Les fabricants d’adoucisseurs recommandent en général un réglage entre 10 et 15 °f en sortie d’appareil.
- Absence de bypass eaux froides alimentaires : Il est conseillé de ne pas adoucir l’eau destinée à la boisson, la cuisson et la préparation de biberons (source Anses).
L’OMS souligne que des eaux entre 10 et 15 °f permettent de limiter le calcaire sans exposer aux phénomènes de corrosion (OMS, Guidelines for Drinking-water Quality, 2011).
Bons réflexes pour éviter les problèmes liés à une eau trop douce
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Faites analyser votre eau : Demandez un test de dureté et de corrosion à votre installateur ou à la régie des eaux locales.
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Surveillez l’état de vos tuyaux : Fuites inexpliquées, eau teintée, goût métallique : autant de signes qui doivent alerter.
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Affinez le réglage de votre adoucisseur : Ne cherchez pas à supprimer tout le calcaire. Un compromis entre confort et sécurité protège au mieux vos équipements.
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Pensez à entretenir régulièrement vos installations : Le remplacement de certains éléments (joints, parties métalliques corrodées…) permet d’éviter des dégâts plus graves.
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Utilisez les bons matériaux : Sur réseaux très doux, privilégiez des canalisations en PER ou multicouche, nettement moins sensibles à la corrosion que le cuivre ou le galva.
L’eau trop douce : un risque sous-estimé, des solutions abordables
En France, moins de 10 % des réseaux alimentent des foyers avec une eau vraiment très douce (source : Ministère de la santé, 2022). Pourtant, avec la démocratisation des adoucisseurs, la tentation de viser une eau « parfaitement pure » est réelle. Or, viser le zéro calcaire n’a jamais été une solution durable pour la plomberie domestique : la minéralisation naturelle de l’eau reste un allié précieux.
Optimiser la qualité de son eau, c’est donc chercher un équilibre : une eau douce, mais pas déminéralisée, pour préserver à la fois votre santé, la durée de vie de votre réseau, votre confort, et celui de votre foyer.
Pour aller plus loin : consultez le rapport de l’Anses sur la qualité de l’eau de boisson (2019), les recommandations de l’OMS, et n’hésitez pas à solliciter un professionnel qualifié pour un diagnostic sur-mesure de votre installation.